Malheureusement, malgré toute la gentillesse et la qualité d'attention de nos

Erik Truffaz, connu et reconnu dans le monde de la musique, plutôt dans la sphère du Jazz quoiqu'il soit difficile voire dangereux de le « classer », ne cesse de se réinventer pour continuer à être créatif. Aventureux, inclassable, il multiplie rencontres improbables (à priori) et décalage culturel et géographique pour créer. On en veut pour preuve le titre de ces derniers albums: Benares, Paris, Mexico... Les chanteurs qu'il intègre à son quartet ne viennent pas du tout de l'univers du jazz malgré sa fascination pour le trompettiste et chanteur américain Chet Baker « Chet Baker est un des chanteurs que je préfère pour le style » admet-il. Christophe, le chanteur britannique Ed Harcourt, Le rappeur Nya, l'ex membre du groupe Saïan Supa crew Sly Johnson, aucun d'entre eux n'a le « label » jazz... La présence de la voix au sein d'une configuration « jazz » change pourtant toute la donne, de l'aveu d'Erik Truffaz lui-même: Pour nous quatre, c'est une espèce d'accomplissement. Dans le groupe on aime tous la voix humaine. Et en ce qui me concerne, si je chantais comme Ed Harcourt, je ne jouerais pas de trompette. »
Infatigable et donc jamais en repos, Truffaz cherche constamment l'autre horizon par la rencontre. Honnêtement, au stade actuel de sa notoriété, il pourrait tourner quasi inlassablement avec son impeccable quartet sans qu'on hurle au scandale mais voilà, comme pour tous les grands, la rencontre, l'autre, comptent beaucoup et la trompette est un vecteur pas une fin en soi. Elle est si proche de la voix humaine qu'elle peut se fondre avec elle, témoin ce chassé croisé avec Sly Johnson lors de leur version inouïe du Come Together des Beatles pourtant maintes fois reprises. Les parties vocales initiales et la basse ne cessent de s'entrecroiser, Sly et Erik Truffaz assurant la tenue de la mélodie tour à tour. Cette chanson fascinante avait déjà été recomposée par Marcus Miller avec deux basses, l'une d'entre elles « chantant » la mélodie en « slap ».

Déjà en Inde, à Benares exactement, Erik truffaz avait souligné l'importance du détour géographique et sonore pour créer. « Dans un tourbillon de klaxons et de poussières, aussi dans le silence opposé des barques, tous les sons de la rue ont investi progressivement notre musique. Les enfants, les yeux tout en lumière brune, ont épié en souriant nos répétitions. La famille Mukherjee, chez qui et avec qui nous avons travaillé, nous a offert, pour alimenter nos échanges musicaux de délicieux repas aux goûts inconnus. Au fil des jours et des regards, nous avons pris conscience de nos différences. Nous avons rassemblé nos convergences et avons donné un sens au son qui nous habitait...

Déjà en 2007, Le quartet de Truffaz avait écrit le très atmosphérique Arkhangelsk, nom d'une ville qui se situe au delà du cercle polaire au nord de la Russie, loin, très loin d'un confortable mais possible confinement parisien... C'est vraiment un autre monde, concède-t-il. Il intègre sur ce disque le compositeur « pop » anglais Ed Harcourt qu’il rencontre lors d’un hommage à Chet Baker.
De la confrontation permanente avec l'autre et l'inconnu, les inconnus, naît cette musique qui ne peut pas être statique... Elle commence d'ailleurs sa gestation dans un désordre assumé: L'idée que du chaos naît peu à peu une structure est très importante dans notre musique. On commence bien souvent par improviser dans le plus grand désordre et c'est de là que surgissent les formes. » Une musique dont les contours, réels et formalisés, naissent du chaos et du mouvement permanent pour devenir celle d'Erik Truffaz, chaos et mouvement moyens ultimes de ne jamais se figer et de ne jamais stagner dans une absence totale d'invention? On peut trouver pas mal de vidéos en ligne et donc des morceaux en écoute, avec Sly Johnson, avec Erik Truffaz. Il existe aussi une émission de télévision diffusée par Mezzo qui montre à quel point Truffaz joue peu pour un « soliste » et laisse la musique prendre forme sans lui.